J’aurais pu vous raconter à ma façon le commencement de cette merveilleuse histoire car j’ai eu le privilège de parler à l’une des plus grandes magiciennes qu’ait connu ce continent. Mais sans doute aurais-je oublié des détails ou transformé la réalité. Je préfère donc laisser la parole à Karadanten Eowélia pour qu’elle vous transporte elle-même là où vous n’auriez jamais osé aller …
À l’occasion d’une promenade dans le nord de la magnifique Forêt de Mierani, vous trouverez peut-être une grande clairière joliment éclairée par les rayons du soleil, située tout près d’une petite rivière poissonneuse dont les clapotis rythment le temps. Vous serez sans doute émerveillé par les habitations de bois et de feuilles semblant comme sculptées à même les arbres, en totale symbiose. Au centre, vous verrez quelques enfants s’amuser pendant que des adultes s’affairent en écoutant le chant des oiseaux …
Ce jour-là, s’étendra devant vous le merveilleux village elfe dans lequel j’ai passé toute mon enfance.
Et pourtant … Je suis une femme elfe issue d’une culture civilisée et étonnamment urbaine pour notre race, bien que le petit groupe dont je fais partie ait préféré s’éloigner un peu des grandes cités pour retrouver ses racines (certains nous qualifient d’ailleurs gentiment de « rebelles »). Nous clamons toutefois fièrement notre appartenance à cette culture et savons parfaitement qu’elle est le fruit de plusieurs siècles de maturité. Par exemple, notre peuple a mis en place les règles et structures sociales permettant de soulager les souffrances et d’aider les plus nécessiteux. Mais ce n’est pas le seul point positif, loin de là ; et ceci nous distingue de bien d’autres cultures …
Mais revenons à moi.
J’ai donc eu la chance de grandir dans ce cadre idyllique, au sein d’une grande famille unie d’un statut social que je qualifierais de moyen mais confortable. Nous ne manquions en effet de rien, avions une maison bien tenue et avons reçu une bonne éducation. De plus, l’entraide étant de mise chez les elfes, nous pouvions toujours compter sur nos amis et voisins, comme eux pouvaient compter sur nous.
Enfant unique (c’est plutôt courant chez les elfes) et légitime, je suis née le 2 mai 4621 lors d’un exil involontaire et non prévu de mes parents dans le bien nommé Pays des sans-terres. En effet, alors que la grossesse de ma mère approchait de son terme, les évènements du monde extérieur finirent par nous atteindre. Les différents peuples humains se faisaient déjà la guerre depuis un bon moment, et mon peuple se croyait protégé car loin des zones de tension. Mais les combats se rapprochaient et ma famille dût fuir comme les autres, par sécurité. Vous voyez pourquoi je dis que notre culture est bien plus civilisée que les autres ? Bien sûr les elfes ont connus des guerres, mais elles ne sont pas incessantes, et souvent nous ne faisons que nous défendre …
Le voyage vers cet exil forcé fut éprouvant pour tout le monde mais particulièrement pour ma mère, qui imaginait probablement une fin de grossesse beaucoup plus paisible. Néanmoins, tout se passa relativement bien et ma mère me mit au monde dans des conditions relativement convenables. Je ne suis donc pas née dans le village, comme les autres, et ceci fut le tout début d’une vie pleine de rebondissements, marquée par le destin …
Quelques mois plus tard, quand la situation redevint plus calme, les familles exilées purent revenir à la clairière et recommencer à vivre normalement. Le village n’avait pas trop souffert car aucun combat n’y avait eu lieu. Il n’y eu plus jamais de problèmes de ce genre et j’ai pu recevoir tout l’amour dont j’ai eu besoin. À l’époque, mon père supervisait une équipe de jardiniers chargés de l’entretien du village. Mais il n’était pas rare qu’ils travaillent pour des villages voisins, ou sur commande. Ma mère s’occupait de la maison et de moi.
Comme je le mentionnais plus tôt, j’ai la chance d’avoir une grande famille. Mes parents, leurs parents respectifs, la sœur de ma mère, son époux et leur fils, mon cousin. Si vous n’êtes pas elfe, il pourra vous sembler étrange que j’appelle cela une grande famille. Sachez que les elfes ont peu d’enfants et qu’il est donc rare d’avoir des oncles et des cousins. Même si en fait, nous formons tous une grande famille, comme se plait à dire mon père.
J’ai toujours trouvé réconfortant de pouvoir s’appuyer sur les autres en général et les anciens en particulier car la sagesse des uns fait grandir les autres. Pour cela, je trouve que chacun devrait avoir la possibilité de vivre avec ses aïeux pour pouvoir profiter de leur expérience !
J’ai compris très tôt que seules la connaissance et la culture pourraient me permettre d’évoluer convenablement et de ne pas avoir à me cantonner aux basses besognes. Non pas que je les trouve indignes, mais j’ai toujours vu plus loin. Et si l’école et l’apprentissage sont un bon moyen d’y arriver, il ne me fallait pas négliger l’aide que pouvaient m’apporter mes aïeux.
Mes 55 premières années se passèrent sans aucuns soucis notables. J’étais une enfant elfe heureuse et sans problèmes. Très curieuse de tout, j’observais souvent la faune et la flore. Tout y passait, des insectes aux oiseaux en passant par l’herbe et les arbres. Quelques disputes de temps en temps, des rires et des pleurs, des joies et des peines, bref, tout ce qui ponctue la vie d’un enfant.
Dans la même période, côté humain, des maisons sortaient de terre le long de la côte au sud, à environ 400 miles d’ici. Ce n’était alors que quelques maisons de bois … Des maisons sont construites ou détruites chaque jour, et je ne m’intéressais pas particulièrement à cela mais il s’avère que celles-ci allaient former plus qu’un village et marquer l’histoire du pays : l’année 4664 vit donc la naissance de ce qui allait devenir la ville de Sandpoint.
Mais un jour de l’année 4676 alors que je me promenais seule dans la forêt environnante, mon attention fut attirée par des bruits inhabituels. En m’approchant le plus discrètement possible, je vis qu’une bande de pillards s’en prenait à un soldat elfe. Le pauvre ne put rien faire contre eux, ils le kidnappèrent et l’emmenèrent avec eux. J’étais tétanisée. Mais quand j’ai reconnu un voisin, Elrilmarion, sous les traits du soldat, j’ai couru prévenir le village. Malgré la rapidité de réaction, nous n’avons malheureusement jamais pu le retrouver.
Vous imaginez bien qu’une telle tragédie marque les esprits, a fortiori celui d’une jeune enfant. Surtout que deux mois plus tard, à la faveur d’une indiscrétion (j’ai surpris une conversation entre adultes du village), j’appris que les hommes qui avaient enlevé le malheureux étaient des marchands d’esclaves. Qui sait ce qu’Elrilmarion a pu endurer ? Est-il toujours en vie ? À ce jour, malgré toutes les recherches que j’ai pu entreprendre, je n’ai aucune idée de ce qui a pu lui arriver …
Ceci me marqua profondément. On aurait pu penser que j’aurais été terrorisée à l’idée de me promener seule en forêt après cela. Il n’en fut rien et je m’isolais plus souvent qu’avant. Mes parents ont bien noté un changement en moi et ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour m’aider, mais j’avais changé tout en restant cette jeune elfe qu’ils avaient toujours connue et en dehors de cela, tout paraissait normal. Ce sont nos épreuves qui nous construisent et nous renforcent : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».
De fait, par inconscience ou défi, je me retrouvais de plus en plus souvent seule en forêt, de plus en plus loin. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une de mes sorties que j’ai trouvé un Gecko qui ne semblait pas effrayé. Une fois la surprise de la rencontre passée, nous avons appris à nous connaître, même si j’avoue ne pas avoir été très rassurée quand il s’est approché de moi pour me renifler avec sa langue (oui, comme les serpents, les organes olfactifs des lézards sont situés sur leur langue). Certes il était petit, mais je n’étais pas bien grande non plus … Nous nous sommes mutuellement adoptés et nous nous retrouvions souvent pour nous amuser. Je l’avais baptisé Lagyn.
Je ne su jamais s’il y avait un lien avec lui, mais quelques semaines plus tard je suis tombée gravement malade. A tel point que je lisais la peur dans les yeux de mes parents. Aucune herbe, aucun onguent ne faisait effet alors que je m’enfonçais petit à petit dans un monde froid et silencieux. Les Dieux eux-mêmes refusaient d’entendre les prières de mes parents. J’ai fini par sombrer dans un coma profond duquel je ne suis ressortie qu’un an plus tard. À l’heure d’écrire ces lignes, je ne sais toujours pas ce qu’il m’est arrivé, ni comment je m’en suis sortie ; toujours est-il que je n’ai plus jamais été malade et que je ne remercierai jamais assez mes proches d’avoir veillé sur moi pendant ce temps sans jamais perdre espoir.
J’ai donc pu reprendre une vie normale et retrouver Lagyn qui ne m’avait pas oubliée non plus. Quand il ne vivait pas sa vie, et que je n’étais pas avec Celilmaldor mon cousin ou d’autres enfants, je passais une partie de mes sorties en forêt avec lui. J’ai souvent tenté de le dresser, de lui apprendre quelques mots. Je ne dirais pas que ce fut un échec cuisant, mais le succès est vraiment relatif … Est-ce moi qui suit une piètre dresseuse ou lui qui n’est pas assez intelligent ? Sans doute les causes sont-elles multiples … Et comme ces animaux ont une vie très courte, entre 15 et 20 ans, je n’eu pas la chance d’approfondir avec lui. Mais pour une raison qui m’échappe sa descendance à toujours été présente près de moi.
Je me trouvais donc souvent en la compagnie d’un des représentants de la lignée. Il était pourtant absent ce jour de 4685 où, à 64 ans, j’ai trouvé Thrithrawyn, mon oncle, coincé sous un arbre. Il souffrait terriblement, sa jambe gauche prise au piège, et je ne pouvais rien faire. Je couru donc vers le village pour chercher les secours, mais la clairière était loin, et le temps de revenir, d’attacher les cordes et de soulever suffisamment l’arbre qui était énorme, la jambe brisée de Thrithrawyn avait trop souffert pour être totalement sauvée. Le pauvre allait finir sa vie en boitant …
Ce triste événement me fit réfléchir. J’employais les longs mois qui suivirent à découvrir pourquoi nous n’avions pu faire mieux, pourquoi avait-il pu se faire prendre ? Que nous a t-il manqué pour le sauver ? La force brute ? Je doute que cela aurait suffit, à moins d’être très nombreux, plus nombreux que les hommes du village. La rapidité ? Surement, même si nous avons tous fait au plus vite. L’intelligence alors ? Non ! Tout fut fait comme il le fallait.
Un peu plus tard, alors que je venais de fêter mes 65 ans, je me suis équipée et suis partie plus loin et plus longtemps que d’habitude. Je me posais beaucoup de questions et la fugue (oui, s’en était bien une) me sembla une bonne solution sur le moment pour réfléchir en toute tranquillité. Elle me permit de trouver des réponses, d’orienter ma vie et d’être fortement réprimandée à mon retour. J’avoue en avoir voulu à mes parents de m’avoir punie. Mais maintenant que j’ai muri et avec le recul, je comprends parfaitement que je n’avais pas simplement défié leur autorité, je leur avais aussi occasionné la plus grande peur de leur vie !
En tout cas, c’était décidé ! Pour pallier les faiblesses des êtres vivants que nous sommes et éviter les situations plus ou moins tragiques que j’avais vécues, il n’y avait que la magie ! J’avais donc pris la décision d’étudier la magie pour pouvoir faire face. J’avais entendu parler d’une école de magie elfe et mon but ultime devenait donc d’y entrer. Je me surprenais à rêver toute éveillée des prouesses que j’allais accomplir, des connaissances que j’allais engranger …
Trouver un sens à ma vie n’a pas été le seul effet positif de ma fugue. En effet, il m’a fallut survivre seule au milieu de cette forêt. Lagyn II (je leur ai tous donné le même nom) était souvent là mais le pauvre ne savait pas de quoi j’avais besoin et ne pouvait pas faire grand chose. J’ai donc dû apprendre à survivre en pleine nature, même si l’endroit n’était pas si dangereux que cela … De là est d’ailleurs né ce qui allait devenir une grande passion (en dehors de la magie bien sûr) : la pêche ! Pour me nourrir je savais que je ne pouvais pas compter sur mes prouesses à la chasse. La cueillette était une meilleure solution mais on se lasse vite des fruits, alors je me suis essayée à la pêche pour varier le menu.
Ce ne fut pas facile au début, je n’avais aucune expérience et surtout aucun matériel adéquat. Mais j’ai toujours été débrouillarde et je parvins assez vite, au moyen de tests plus ou moins concluants, à confectionner un filin de pêche en fibres de lianes, un hameçon en épine de ronces sauvages puis plus tard une canne en bois pour atteindre des eaux plus profondes. J’étais même persuadée que le bambou ferait une bien meilleure canne mais il n’y en avait pas dans cette partie de la forêt.
Je me pris finalement au jeu, et même bien après être revenue dans le giron familial. La pêche qui m’avait fournit un complément alimentaire, m’avait aussi aidé à me concentrer et donc à réfléchir. Cela devint donc une passion et il me faut toujours y aller de temps en temps, même si ce n’est pas une envie permanente.
Ma vie continua finalement normalement. J’étais bercée entre mes séances de pêches, mes sorties en forêt avec ou sans Lagyn II, et mes lectures dans le but de percer quelques secrets arcanes avant d’atteindre l’âge d’entrer à la grande école de magie de la Tour des Étoiles. Il m’arrivait parfois aussi de sortir avec mon cousin et d’autres amis. En grandissant, je me rendis compte que mon physique ne rendait pas les hommes indifférents, mais je sortais à peine de l’âge ou cela n’a finalement que peu d’importance …
Le jour de mes 80 ans (4701) fut le plus beau de ma vie : je pouvais enfin prétendre entrer à l’école de magie. Le concours fut d’ailleurs une formalité et mon admission devint vite définitive. J’étais tellement heureuse en préparant mon départ que cela atténuait la tristesse de mes parents de me voir partir.
Le chemin n’était pas très long jusqu’à l’école et le temps de dire au revoir aux proches (et à Lagyn, 3ème du nom), nous sommes partis mes parents et moi. Pour plus de sécurité, nous avons profité d’une caravane qui se dirigeait dans la même direction. Nous sommes arrivés quelques jours plus tard. Au moment de se dire adieu, en voyant ma mère pleurer, je découvris que la situation était excessivement gênante pour moi, j’avais du mal à exprimer ce que je ressentais. Je crois néanmoins que mes parents ont pu lire dans mes yeux ce que je ne parvenais pas à leur dire. Quant à moi, je voyais bien qu’au-delà de la tristesse de la séparation, ils étaient fiers de ce que je m’apprêtais à accomplir.
Les premiers temps furent féériques, je nageais dans le bonheur car mon rêve se réalisait. Pourtant, quelques semaines après le début du cursus, j’ai réalisé avec horreur que mon rythme vital s’était accéléré. Il me fallut un peu de temps d’observation et de nombreuses comparaisons pour en être sure : je vieillissais maintenant comme une humaine. J’ai alors interrogé les professeurs, dévorés des dizaines de livres mais rien ne semblait pouvoir stopper cela. J’ai juste pu apprendre que j’étais probablement la victime d’une malédiction. Mais qui ? Pourquoi ? Et quand ?
Je n’ai toujours pas trouvé de réponse à ces questions, mais j’ai quand même réussi à définir avec certitude que c’est arrivé tout de suite après mes 80 ans ; soit sur le trajet vers l’école, soit dans les toutes premières semaines de cours … Et ça continue toujours. Par contre rien ne m’a jamais permis de définir s’il y avait eu une période d’incubation et donc de déterminer la période à laquelle j’ai été maudite.
Je ne sais pas en quoi vous croyez, si pour vous il y a des puissances divines, bonnes ou mauvaises, si vous préférez penser que tout est régit par des flux d’énergie ou si vous êtes persuadé qu’il n’y a rien, mais pour moi ce qui m’est arrivé, en bien comme en mal n’est pas le fruit du hasard. Une bonne partie de ma vie est donc vouée à trouver des réponses et à comprendre le sens de tout cela …
Néanmoins, j’ai pu tirer avantage de la situation car l’accélération de mon rythme vital me permit d’apprendre beaucoup plus vite que mes camarades. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort comme avait l’habitude de dire un « vénérable » … Certains s’en réjouissaient pour moi, d’autres s’en inquiétaient. Quant à moi je ne poursuivais qu’un seul but : progresser. Je suis fière d’avoir pu le faire sans que ce soit au détriment de quelqu’un. J’appris aussi à faire la part des choses et à me protéger du monde extérieur, des quolibets et des attaques perpétrées uniquement par méchanceté ou jalousie.
Oui, j’ai dû affronter la jalousie de ceux qui me voyaient progresser plus vite et mieux qu’eux, de ceux et celles qui jalousaient ma beauté, soit parce que j’avais refusé leurs avances, soit parce qu’ils étaient eux-mêmes défavorisés sur ce point. C’était de la méchanceté gratuite dont usaient bon nombre de jeunes apprentis, sans doute pour tenter de cacher leurs propres faiblesses. Tous les meilleurs éléments de l’école se plaignaient de ce genre de comportement.
Cette période transforma la jeune adolescente elfe innocente que j’étais en femme de caractère ayant compris que les gens ne sont pas tous bons et généreux, et que les hommes sont faibles et fragiles face à une belle femme. Il m’était en effet facile de les obtenir quand je les voulais ; il était parfois plus délicat de les repousser. Mais j’ai toujours suivi les préceptes inculqués par mes parents et je mets un point d’honneur à ne jamais manipuler les gens dans un but personnel, si ce n’est pour le plaisir des sens bien entendu.
Mon comportement et mes possibilités ont donc nourri la jalousie de certains de mes camarades, mais aussi de quelques autres. Du directeur aux professeurs, que ce soit par jalousie ou à la suite d’une délation, j’ai souvent dû faire face à ce que j’ai toujours considéré comme des abus d’autorité. Ne croyez-vous pas qu’il aurait été judicieux de vérifier les faits avant de m’accuser ou de me punir ? Bien sûr, j’ai commis des erreurs, fait quelques bêtises de jeunesse, mais bien des accusations étaient fausses ; et ça, ça forge le caractère … Qu’importe, je ne perdais pas une occasion de me venger des torts qu’on me causait.
Mais ma force de caractère ne m’empêcha pas d’être affectée psychologiquement. Et cette atteinte se traduisait par des mouvements incontrôlables et inconscients de la tête : un tic ! Pour être franche, il y a aussi une possibilité pour que ce soit un effet secondaire de ma malédiction … Toujours est-il que cela a parfois un effet négatif dans la perception que les autres ont de moi. Là encore, il me fallut faire avec …
Ceci dit, la période des études fut aussi, et heureusement, une période de joies plus ou moins intenses, de plaisirs et d’amusement. Car même s’il fallait étudier durement, nous avions quelques loisirs et des permissions. Les premières étaient encadrées car il était hors de question de laisser de trop jeunes gens aller et venir à leur guise sans se soucier des dangers du monde extérieur. Mais au fur et à mesure que nous grandissions, on nous octroyait de plus en plus de liberté, même si les « vénérables » n’étaient jamais bien loin pour nous surveiller. C’est ainsi que nos sorties étaient de plus en plus intéressantes …
C’est au cours de l’une d’elles que j’ai rencontré Ariomas Goludis, un humain varisian qui se disait barde et qui tenta de m’embrouiller pour expliquer sa présence près du dortoir des filles … Je n’ai pas été dupe mais comme il n’avait pas l’air méchant, et qu’il chantait plutôt bien, nous avons sympathisé.
Nous nous sommes revus plusieurs fois, j’aimais bien l’écouter chanter et je crois qu’il m’aimait vraiment … Il me reprochait souvent ma froideur et le fait que, d’après lui, je n’extériorise pas beaucoup mes sentiments ; je lui répondais toujours que j’étais le contraire de ce qu’il était, et finalement cela nous faisait rire. En tout cas, nous avons passés de forts bons moments ensemble.
Il s’était mis en tête de m’apprendre à me servir d’un couteau-étoile et ne m’a pas lâchée tant que je n’ai pas eu un niveau suffisant à ses yeux ! Quelle idée ! Mais je ne lui en veux pas, après tout ça partait d’un bon sentiment. Toujours est-il que je manie maintenant cette arme plutôt bien.
Sans doute était-ce un cadeau d’adieu car peu de temps après la fin de mon apprentissage, il m’apprit qu’il devait partir dès le lendemain. Je n’ai même pas essayé de le retenir …
Lors de leur dernière visite, mes parents m’apprirent que Tilmamir et sa récente épouse Calaralad partaient s’installer dans le village de Turtleback Ferry. Situé entre deux forêts, en bord de rivière, ce lieu est un endroit idéal pour la mixité culturelle. Comme je souhaitais garder le contact, je promis d’aller les voir une fois mes premiers pas d’aventurière effectués.
Le cursus se termina donc, et une fois la cérémonie de remise des diplômes terminée, je repris avec une grande joie le chemin de la Clairière. Je n’avais en effet pu voir mes parents que deux fois et ils me manquaient ainsi que tous les autres. Par contre Lagyn III m’avait retrouvée et je le voyais parfois discrètement. Très vite, je m’aperçu qu’il aimait bien chaparder et qu’il me ramenait des pièces de cuivre, d’or ou d’argent. Mais en dehors de ce petit « travers », il s’est toujours montré gentil.
Je suis donc restée quelques temps au village, j’avais beaucoup de choses à raconter et je m’amusais à faire quelques petits tours de magie aux enfants émerveillés. Mais je sentais bien que ma perception du temps avait changé. Plus jeune, j’aurai pu rester 10 ans ici, sans même me rendre compte qu’il y avait autre chose à faire. Mais le temps file pour moi désormais différemment, et je me dois de vivre au rythme qui m’est imposé.
J’en parlais autour de moi, si jamais quelqu’un avait quelque chose à faire dans le monde, un service que je pourrais rendre, une aventure, quelque chose qui me fasse bouger …
C’est alors que Thiramir, un de mes cousins vint me voir pour me demander un service. Après quelques échanges pendant lesquels il a trouvé le moyen de me faire promettre de ne jamais en parler à quiconque, il m’avoua enfin de quel service il parlait … En résumé, il y a une trentaine d’années de cela, son frère Legithralas était en excursion vers Sandpoint, et il eut une brève aventure avec une femme humaine. Rien d’extraordinaire jusque là, les humains sont assez sensibles à nos charmes … Mais il poursuivit en me racontant qu’un peu plus tard, il apprit que la femme en question était en fait mariée à un notable de la ville. Lorsqu’il l’apprit, il décida de mettre un terme à leur relation, et c’est à ce moment là que la femme lui annonça qu’elle était enceinte de lui ! Pensant que c’était un moyen fallacieux de le retenir (les elfes sont très peu fertiles, et encore plus dans le cadre d’unions de races), Legithralas parti sans demander son reste de peur d’éventuelles représailles envers lui ou notre peuple.
Quelques temps plus tard, voulant en avoir le cœur net, Legithralas apprit que la femme avait mis au monde un enfant demi-elfe, Tsuto, que son mari Lonjikiu Kaijitsu (un humain) avait rejeté … Ne souhaitant pas avoir a élever un enfant, il décida que c’était la vie et qu’il n’y était pour pas grand-chose. Il se débrouilla cependant pour lui faire déposer discrètement un cadeau tous les ans pour son anniversaire.
En 4702, la mère de Tsuto mourru, et depuis, Legithralas n’a plus de nouvelles de l’enfant. Il continue cependant à lui faire porter des cadeaux tous les ans, en faisant en sorte d’abandonner le cadeau, avec un simple mot « pour Tsuto », dans l’auberge du Dragon Rouillé qui est tenue par la demi-sœur humaine de Tsuto, Ameiko.
Thiramir m’annonce que Legithralas est parti combattre l’ennemi au cœur de la forêt, et qu’il ne pourra pas rentrer pour faire le cadeau cette année. Comme il ne pourra pas le faire non plus, il est donc venu me demander de remettre le cadeau (un pendentif en argent représentant une feuille finement sculptée), discrètement comme son frère le faisait, et il aimerait bien également avoir mon avis sur la sœur, le frère, la famille … Bref, avoir mon retour sur ce que je pense de la situation … Il me confia 50 pièces d’or pour mon trajet et mes premiers frais d’aventurière.
C’est ainsi que je partis donc vers Sandpoint.
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